Virgile : Bienvenue dans le podcast « C’est sa vie », soutenu par l’Office Franco-Allemand pour la jeunesse. Il s’agit d’un podcast bilingue, réalisé par 5 étudiants franco-allemands à l’Université de Lorraine, qui s’intéresse aux migrants installés en France et en Allemagne. Nous souhaitons leur donner la parole afin qu’ils vous partagent leurs parcours de vie et leurs intégrations de part et d’autre du Rhin.
Aujourd’hui, nous recevons Bruno. Bonjour Bruno et bienvenue. On est très contents de t’accueillir.
Bruno : Bonjour Virgile. Tout le plaisir est pour moi. Je suis content aussi de partager cet instant avec vous.
V : C’est parfait. Du coup, tu nous viens du Togo, tu es à Metz depuis deux ans et, avant de parler de ton installation en France et de ta vie en France aujourd’hui peut-être qu’on pourrait revenir sur ta vie au Togo. Par exemple, tu pourrais nous présenter ta famille, ta vie au Togo, comment tu vivais au Togo et nous parler aussi de ton parcours universitaire là-bas.
B : D’accord. Merci. Alors, moi je suis né au Togo. C’est un pays de l’Afrique occidentale, entouré par le Ghana, le Burkina-Faso et le Bénin. Et donc j’ai fait plus de la vingtaine de ma vie là, aujourd’hui j’ai 25 ans. Et du coup j’ai fait la maternelle, le groupe primaire, le collège, le lycée et j’ai même eu ma licence là-bas en Lettres modernes. Je viens d’une famille de cinq enfants dont je suis le troisième. J’ai pratiquement toute ma famille là-bas : mon père, ma mère, mes frères et sœurs. Pour ce qui est des études, je peux dire que j’ai eu un parcours normal, sans redoublement, du groupe primaire jusqu’au bac, que j’ai obtenu en 2017. Ensuite, je me suis lancé en Lettres modernes à l’université, parce que je m’intéressais beaucoup à la chose littéraire et j’ai bien voulu approfondir mes connaissances là-dessus. Dès lors j’envisageais déjà des études à l’étranger, parce que ça me permettrait d’avoir plus de compétences et de bagages rajoutés à ma formation, parce qu’à l’Université de Lomé, depuis un certain moment des choses nouvelles sont faites et il y a des améliorations au niveau des infrastructures éducatives et tout. Mais il y a toujours un petit plus à aller vers d’autres horizons, où la formation est d’une qualité, au niveau infrastructurel, pédagogique, institutionnel, un peu plus élevée. Et du coup après ma licence en 2017, je n’ai pas directement entamé un Master, j’ai fait un stage dans un établissement scolaire en enseignement du français, et après j’ai intégré en tant qu’enseignant vacataire un lycée d’enseignement du système français, c’est-à-dire comme on enseigne ici en France : c’est le même programme en fait. Et c’est de là que je me suis vraiment dit qu’il fallait, il fallait que je poursuive mes études parce que je ne pouvais pas m’arrêter là, il fallait que je rajoute des compétences à mon bagage si je pouvais le dire comme ça. Parce que j’avais déjà pour pouvoir m’internationaliser comme on le dit.
V : Et donc ce choix de la France, parce que tu nous as dit que tu étais enseignant dans une école où il y avait le système français, est-ce que tu y avais déjà réfléchi avant, ou c’est venu juste à partir de ce moment-là ?
B : La première fois que j’y avais pensé, c’était après ma licence, parce que je voulais faire un Master en littérature comparée à la base, sauf que ce n’était pas disponible dans mon pays, dans mon université, du coup il fallait que je le fasse à l’extérieur, et j’avais mis un peu en stand-by, parce que je ne m’y étais pas préparé du tout. Du coup il m’a fallu deux ans pour me décider, pour lancer la procédure Campus France, qui est la principale procédure d’acceptation d’étrangers, sur étude de dossier. Du coup, c’est, je vais dire, mon passage en tant qu’enseignant de français, dans l’école dont je vous parlais, qui m’a conforté dans mon choix. Je me suis dit : « c’est le bon moment, il faut que je le fasse et il faut que je rajoute quelque chose ».
V : D’accord. Et pourquoi ce choix de la France en particulier, parce que tu aurais pu aller au Royaume-Uni, en Belgique en Allemagne, donc pourquoi la France en particulier ? Et pourquoi Metz ? Est-ce que c’est Campus France qui t’a placé à Metz ou est-ce que c’est toi qui as fait ce choix-là ?
B : Alors, je vais commencer par la fin de la question. Pourquoi Metz ? Je vais dire que c’est un pur hasard Metz parce que je vais vous expliquer un peu pour la procédure Campus France. Pour ceux qui veulent postuler en Master ils ont sept choix d’universités, sept choix possibles. Du coup j’avais postulé, je ne me rappelle même plus toutes les villes. J’avais postulé à Metz et dans d’autres villes, à Paris, à Marseille. Metz a été la première réponse que j’ai eue, de toutes ces candidatures, et c’était une réponse positive. Du coup je n’ai pas cherché loin, je l’ai directement validé. Maintenant pourquoi le choix de la France ? Parce que ça me facilitait plus ou moins l’intégration, surtout au niveau linguistique, parce que j’avais déjà une base en français, je m’exprimais plus ou moins bien déjà en français, du coup ce serait un peu plus facile, je vais le dire comme ça, cohérent. Parce que la Grande-Bretagne, le Canada, etc. ce serait une autre étape à franchir, au niveau linguistique surtout. Parce que je vous le dis tout de suite : mon niveau en anglais ce n’est pas vraiment vraiment ça. Du coup c’est un peu ce qui justifie mon choix de la France et ma présence à Metz.
V : Donc c’était la première fois que tu venais en France, quand tu es arrivé à Metz.
B : Oui c’était la première fois que je venais en France.
V : Qu’est-ce que tu connaissais de la France en général et de Metz en particulier avant de venir ici ? Est-ce que tu avais fait quelques petites recherches avant, ou est-ce que tu t’es dit « vas-y, c’est bon, je suis pris là-bas et on verra bien ce qui va se passer » ?
B : Non je m’y connaissais un peu, je dois dire que je m’y connaissais un peu. Je ne suis jamais venu mais je ne mettais pas totalement le pied sur une terre étrangère parce que mon pays (le Togo) et la France ont une longue histoire en commun et donc à l’école on a étudié la France, en Histoire-géographie. Dans plusieurs classes au collège je crois aussi. Et à l’Université, vu que je faisais de la littérature française et francophone, c’est-à dire dans tous les autres pays où on parle le français, j’ai eu à m’instruire sur l’histoire de la littérature française, et l’histoire de la France, sur les médias et tout. Donc je dois dire que je m’y connaissais un peu. Et au niveau culturel, je savais un peu, dans mon imaginaire à quoi ça pouvait ressembler, mais dans le fond, comme je n’y avais jamais mis les pieds, ç’a été une découverte.
V : Une totale découverte comme tu dis. Et du coup, comment s’est passée ton arrivée ? Est-ce que tu as eu des difficultés, par exemple sur le plan administratif, pour t’inscrire à l’université, pour te loger ? Est-ce que tu as rencontré quelques petits problèmes comme ça ?
B : Alors, pour le logement, je n’ai pas eu de problème puisque j’ai eu la chance de tout régler depuis le Togo, avant de venir ici, j’ai trouvé un logement et tout. Je suis arrivé avec une semaine de retard, ou deux, je ne sais plus exactement, sur les cours. Du coup j’étais le « petit nouveau » qui arrivait et qui devait très très vite s’adapter et puis se mettre au niveau de tout ce qui avait été déjà fait. C’était un petit peu compliqué j’avoue, c’était un petit peu compliqué, parce que débarquer comme ça, dans un univers où tu ne connais pratiquement personne, je ne connaissais aucun de mes camarades. Du coup il fallait faire cette intégration. Je dois dire que la langue a favorisé un peu mon intégration là, et ma principale difficulté ç’a été au niveau de la gastronomie, parce que je n’étais pas vraiment habitué, je dois dire. Je ne connaissais vraiment pas grand-chose, donc arriver là, se faire à l’idée qu’on ne pourra plus se nourrir de la même façon, ce n’est évident. Par exemple, si je vous présentais là un plat togolais et si je vous disais « vous allez prendre l’habitude d’en consommer tout le temps ». Donc, je me suis quand même adapté. Aujourd’hui, je fais un peu de mélange. J’ai quand même réussi à trouver quelques petites choses avec lesquelles je fais de la cuisine togolaise. Des quelques petits plats que j’ai pris de la gastronomie française, je fais un mélange des deux. Ma difficulté ç’a été à ce niveau-là (rires).
V : Oui, du coup, tu nous as dit que tu arrivais quand même à retrouver certains plats du Togo ici. Mais est-ce qu'il y a d'autres choses du Togo qui te manquent dans ta vie en France ?
B : Je ne vais pas dire non, je ne vais quand même pas dire non, parce que passer vingt années de sa vie, ça devient quand même une routine quoi. Donc il y les habitudes qui changent, le cadre socio- éducatif qui change. Les amis qui ont changé, c'est vrai que je garde de très bons liens quand même, avec mes amis, ma famille, mais ça manque quand même. Surtout dans le dans le contexte, si je peux le dire comme ça, Coronavirus. C'est un petit peu compliqué, surtout pendant le premier confinement. Mais bon, là maintenant, ça, ça va, ça va, je m'habitue.
V : Tu nous as parlé un peu des différences, notamment sur le plan administratif, sur le plan universitaire entre la France et le Togo. Il y a Pauline, une auditrice, qui te demande : « Quelles différences entre la France et le Togo t’ont particulièrement marqué ? »
B : Alors, euh, là, je peux dire qu'ici, c'est beaucoup plus digitalisé. Je vais le dire comme ça. L'enseignement est beaucoup digitalisé. L’ENT par exemple, je le découvrais et je me perdais pratiquement tout le temps au début, parce que j'arrivais aussi avec du retard, et je peux dire que c'est la grosse différence. Ce n’est pas qu’il n’a pas de digitalisation au Togo, c'est à un niveau beaucoup plus élevé ici.
V : Le temps passe vite, donc on va passer maintenant à la troisième partie. Donc quand tu es arrivé en France, comme tu l'as dit sur la biographie que nous avons mis sur Instagram, tu t'es engagé, tu as fait un service civique. Est-ce-que tu peux nous en parler un petit peu ?
B : D'accord. Alors le service civique, je l'ai découvert ici par le biais d'un ami, que je me suis fait ici. Alors au Togo déjà, j’œuvrais dans plusieurs associations de jeune, comme volontaire pour différentes causes : le droit des femmes, l'autonomisation de la femme, la jeune fille, etc. Plein de domaines. Et du coup, arrivé ici, j'avais eu cette envie-là de continuer sur cette lancée et donc quand il m'en avait parlé, je me suis dit : « comment est-ce que ça se fait ? ». C'était en ligne j'ai vu plein de services civiques et voilà que je tombe sur le service civique - la mission du Secours Catholique “Caritas” - qui faisait dans l'humanitaire. Et du coup ç’a été aussi une découverte pour moi ici là, la situation des SDF. Je n'en avais pas connu. A chaque fois que je sortais, je me demandais : « mais comment ça se fait que ces gens soient dans la rue comme ça, au même endroit, tout le temps ? ». Il m'arrivait de m'arrêter pour discuter un peu et je me rendais compte que ça faisait beaucoup de bien, le simple fait de discuter. Et du coup, la mission de service civique l'a proposé dans son volet dans les activités à faire, des maraudes, du coup je me suis dit : “bon pourquoi pas ?”. Et en même temps c'était un double objectif parce c'était du volontariat. Bien sûr on n'était pas payé à l'heure mais il y avait une indemnité qui me permettait de pouvoir financer, un tant soit peu aussi, la dépense liée à la formation et aux études, comment dire un peu comme un job étudiant. Voilà donc j'ai postulé. J'ai eu un entretien avec la responsable et donc je me suis engagé et la principale mission était de redynamiser un groupe de jeune volontaire au Secours Catholique et faire des actions pour les défavorisés, les gens isolés, les personnes qui sont dans la rue. Les maraudes étaient les activités principales. Mais on avait aussi quelques séances d’écoutes et de conseils auxquelles je participais. Je peux dire que ç’a été une expérience assez enrichissante pour moi. D'ailleurs, mon service civique est terminé depuis septembre dernier. Je suis resté quand même volontaire au service du Secours Catholique et j'interviens au besoin, tant que j'ai un peu de temps.
V : C’est une très belle action ça ! Vous avez d’autres projets pour l’avenir ? Vous continuez les maraudes ? Comme tu l'as dit en ces temps-là, de coronavirus. C'est un petit peu compliqué pour tout le monde. Pour ces personnes-là aussi.
B : Ouais, c'est un petit peu compliqué pour tout le monde. Il a fallu jusque mars dernier, recadrer un peu les activités parce qu'il n'était pas vraiment possible de faire du présentiel. Il y avait les protocoles sanitaires et tout ça et du coup, on est en train de réfléchir avec les autres jeunes volontaires, qui ont rejoint l'équipe sur plusieurs activités qu’on pourrait faire. Tout n'est pas encore ficelé, mais les réflexions se poursuivent quand même pour pouvoir trouver d'autres choses et être conforme quand même à la situation sanitaire qu’on vit actuellement, depuis un an.
V : Donc là, le temps passe très vite et on arrive à la fin de notre interview. Donc dernière question, qu'est-ce que tu comptes faire après ton Master 2 ? Quelles poursuites d'études tu envisages ? Où est-ce que tu aimerais le faire ? Est-ce que tu veux rester en France ? Est-ce que tu veux aller dans un autre pays ? Tu veux rentrer au Togo ? Comment tu espères que ça va se passer ?
B : Alors dans un premier temps, j’aimerais bien reprendre la classe, reprendre l'enseignement parce que c'est quelque chose que j'aime bien aussi. Mais je ne veux pas dire que j'aime bien, j'aime beaucoup. Parce que bon voilà, il y a plein de choses. Le temps va vite, je ne vais pas m’éterniser là-dessus, mais j'aimerais bien quand même faire une thèse de doctorat. Donc une thèse de doctorat en sciences du langage. Devenir enseignant-chercheur, mais si dans l’immédiat je peux faire un master de l’enseignement : master MEEF (master de l’enseignement et de l’éducation) français. Je ne me suis pas encore décidé là. J'ai d’abord à soutenir cette année et puis on verra un peu plus pour l'année prochaine, s’il faut un master de l’enseignement ou si je m’inscris directement en thèse. Et ce sera en France.
V : Merci beaucoup Bruno d'avoir partagé ton temps là pour venir nous parler. On était très content de t'accueillir. Donc, voilà, merci beaucoup. Et puis je te dis à une prochaine.
B : A une prochaine. Merci aussi à toi pour la disponibilité, pour le pour le temps accordé.
V : Merci à tous nos auditeurs et auditrices d'avoir écouté cet épisode. Nous espérons qu’il vous a plu. En général, nous publierons un nouvel épisode toutes les deux semaines pour rester informé de notre actualité et des épisodes à venir, vous pouvez nous suivre sur notre compte Instagram : podcast_c’estsavie. Vous aurez en plus la possibilité de poser vos questions à nos prochains invités. Nous espérons que vous avez apprécié cet épisode et nous vous disons à très bientôt !